mercredi 4 juillet 2012

Pourquoi ce monde : Clarice Lispector, une biographie, de Benjamin Moser [Editions Des Femmes]



Quelle jolie découverte que nous propose Benjamin Moser dans sa biographie d’une écrivaine mythique au Brésil et inconnue dans nos contrées, à savoir Clarice Lispector (1920-1977).

Pour notre plus grand bonheur, le livre ne contente pas d’uniquement retracer la vie de Clarice,  mais il  nous fait également découvrir d’autres aspects du Brésil, tels que son histoire, sa politique et sa société, la littérature et le monde de l’édition, le journalisme, etc…

A être exceptionnel, parcours exceptionnel ; comment en aurait-il pu être autrement ?
Ainsi Clarice (née Chaya), juive d’origine ukrainienne, vient au monde sur base d’une superstition selon laquelle un enfant pourrait par sa naissance guérir sa mère d’une maladie (sa mère ayant contracté une syphilis suite à un viol collectif commis par un groupe de soldats russes, et dont elle mettra dix ans à agoniser).  Inutile de dire que Clarice ne se remettra jamais de n’avoir pu réaliser le miracle, à savoir guérir sa mère par sa naissance. Ce traumatisme laissera bien entendu des empreintes quant aux attentes envers la vie et Dieu.

Après cette naissance en milieu apocalyptique, s’ensuivra une émigration salvatrice de sa famille au Brésil (Clarice a alors un an et demi) afin de fuir les affres de la fin de la révolution russe, la famine, et les épidémies de typhus. Même si Clarice ne gardera aucun souvenir des épreuves endurées en Europe, nul doute qu’elles auront influencé son caractère mais aussi son œuvre littéraire inclassable au style hermétique, fragmentaire, elliptique,  allusif, et mystique, ayant tout pour déconcerter les lecteurs même les plus avertis.
Le livre nous fait également voyager dans l’espace, Clarice ayant été la femme d’un diplomate. On s’envole ainsi pour Naples, Berne, Torquay et Washington, même si de son propre aveu, Clarice ne s’est jamais sentie chez elle qu’au Brésil.

Au niveau de l’analyse de l’œuvre littéraire, pour notre plus grand bonheur, les livres de Clarice sont analysés en vue d’aider le lecteur à découvrir les sens cachés et les thèmes récurrents chers à Clarice. Des extraits de lettres viennent compléter la vision du lecteur afin qu’il puisse mieux appréhender la personne hautement complexe se cachant derrière l’écrivaine que des introspections incessantes à l’écoute de ses mondes intérieurs ainsi que les malheurs de la vie ( un divorce, l’éducation seule d’un fils schizophrène, la perte de l’usage d’une main suite à un incendie) entraîneront dans la solitude, le désespoir, les insomnies, les médicaments, et dans la dépression, quand Clarice aura compris qu’elle écrivait pour cesser de penser, mais que l’antidote s’est révélé être empoisonné : «J’écris comme si cela devait permettre de sauver la vie de quelqu’un. Probablement la mienne », «J’écris pour moi-même, pour entendre mon âme parler et chanter, et parfois pleurer ».

Lors de sa dernière interview, en réponse à la question « Vous vous renouvelez à chaque nouveau livre », Clarice aura cette réponse à la hauteur de sa verve : « Nous verrons si je peux renaître. Pour l’instant je suis morte... Je parle depuis ma tombe ». 

En résumé, Benjamin Moser nous invite par ce livre de 400 pages denses agrémentées de 36 pages de notes (excusez du peu !) à  partir à la découverte d’un être mythique, hors du commun, et insondable, si injustement inconnu en Europe. Je compte sur vous pour réparer cette injustice !

P.S. : pour ceux que l’hermétisme et la complexité des livres de Clarice rebuteront, je vous conseille (après avoir lu le livre de Benjamin Moser) de découvrir la personne qu’elle était (Chaya), via deux autres de ses facettes, à savoir «La Découverte du monde, 1967-1973 (Chroniques  chaque samedi dans le Jornal do Brasil) » et  « Le seul moyen de vivre : Lettres (1941-1976) ».

Je tiens à remercier les Editions Des Femmes pour cette merveille découverte.

A bientôt pour de nouveaux coups de coeur.




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