Quelle jolie découverte que nous propose Benjamin Moser
dans sa biographie d’une écrivaine mythique au Brésil et inconnue dans nos
contrées, à savoir Clarice Lispector (1920-1977).
Pour notre plus grand bonheur, le livre ne contente pas
d’uniquement retracer la vie de Clarice, mais il nous fait également découvrir d’autres aspects
du Brésil, tels que son histoire, sa politique et sa société, la littérature et
le monde de l’édition, le journalisme, etc…
A être exceptionnel, parcours exceptionnel ; comment en
aurait-il pu être autrement ?
Ainsi Clarice (née Chaya), juive d’origine ukrainienne,
vient au monde sur base d’une superstition selon laquelle un enfant pourrait par
sa naissance guérir sa mère d’une maladie (sa mère ayant contracté une syphilis
suite à un viol collectif commis par un groupe de soldats russes, et dont elle
mettra dix ans à agoniser). Inutile de
dire que Clarice ne se remettra jamais de n’avoir pu réaliser le miracle, à
savoir guérir sa mère par sa naissance. Ce traumatisme laissera bien entendu
des empreintes quant aux attentes envers la vie et Dieu.
Après cette naissance en milieu apocalyptique, s’ensuivra
une émigration salvatrice de sa famille au Brésil (Clarice a alors un an et
demi) afin de fuir les affres de la fin de la révolution russe, la famine, et les
épidémies de typhus. Même si Clarice ne gardera aucun souvenir des épreuves
endurées en Europe, nul doute qu’elles auront influencé son caractère mais
aussi son œuvre littéraire inclassable au style hermétique, fragmentaire,
elliptique, allusif, et mystique, ayant
tout pour déconcerter les lecteurs même les plus avertis.
Le livre nous fait également voyager dans l’espace, Clarice
ayant été la femme d’un diplomate. On s’envole ainsi pour Naples, Berne,
Torquay et Washington, même si de son propre aveu, Clarice ne s’est jamais
sentie chez elle qu’au Brésil.
Au niveau de l’analyse de l’œuvre littéraire, pour notre
plus grand bonheur, les livres de Clarice sont analysés en vue d’aider le
lecteur à découvrir les sens cachés et les thèmes récurrents chers à Clarice.
Des extraits de lettres viennent compléter la vision du lecteur afin qu’il
puisse mieux appréhender la personne hautement complexe se cachant derrière l’écrivaine
que des introspections incessantes à l’écoute de ses mondes intérieurs ainsi que
les malheurs de la vie ( un divorce, l’éducation seule d’un fils schizophrène,
la perte de l’usage d’une main suite à un incendie) entraîneront dans la solitude,
le désespoir, les insomnies, les médicaments, et dans la dépression, quand
Clarice aura compris qu’elle écrivait pour cesser de penser, mais que l’antidote
s’est révélé être empoisonné : «J’écris comme si cela devait permettre de
sauver la vie de quelqu’un. Probablement la mienne », «J’écris pour
moi-même, pour entendre mon âme parler et chanter, et parfois pleurer ».
Lors de sa dernière interview, en réponse à la question « Vous
vous renouvelez à chaque nouveau livre », Clarice aura cette réponse à la
hauteur de sa verve : « Nous verrons si je peux renaître. Pour l’instant
je suis morte... Je parle depuis ma tombe ».
En résumé, Benjamin Moser nous invite par ce livre de 400
pages denses agrémentées de 36 pages de notes (excusez du peu !) à partir à la découverte d’un être mythique,
hors du commun, et insondable, si injustement inconnu en Europe. Je compte sur
vous pour réparer cette injustice !
P.S. : pour ceux que l’hermétisme et la complexité des livres de
Clarice rebuteront, je vous conseille (après avoir lu le livre de Benjamin
Moser) de découvrir la personne qu’elle était (Chaya), via deux autres de ses
facettes, à savoir «La Découverte du monde, 1967-1973 (Chroniques chaque samedi dans le Jornal do Brasil) »
et « Le seul moyen de vivre :
Lettres (1941-1976) ».
Je tiens à remercier les Editions Des
Femmes pour cette merveille découverte.
A bientôt pour de nouveaux coups de coeur.